CAFE-PHILO DU 09/04/19

Café Philo de Colognac

Violence ?

Mardi 9 avril 2019 à 19h00 au Café de Colognac

D’où vient la violence ? Peut-on s’en débarrasser ?

Bien loin de diminuer au cours du temps, la violence est partout présente. Le problème de notre époque serait-il qu’il n’y aurait plus suffisamment de mécanisme régulateur ? La violence reste pourtant un concept ambigu qui accompagne l’humain confronté à ce qui risque de le détruire. Serait-elle toujours à l’œuvre dans la nature, ou bien ne surgit-elle que dans la sphère sociale où les hommes se voient engagés dans la lutte pour la reconnaissance ? Qu’est-ce qui engage à la violence ? Devons-nous nous débarrasser de la violence ? Peut-on vraiment s’en débarrasser ? Certaines formes de violence ne sont-elles pas légitimes ?

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Violence, étymologie : Du latin violentia (« force (du vent), ardeur (du soleil), rigueur (de l’hiver), violence (de caractère), fougue, emportement »), dérivé de violens (« violent »), lui-même de vis (« vigueur, force »). Le mot violence nous vient du latin « violencia » et du latin de « violentus », issu du verbe « vis » (verbe « volere ») signifiant « vouloir », découlant du mot grec « bia » (« βια ») signifiant « la force vitale » ou « la force », « la contrainte ».

Violence, aujourd’hui : En anglais moderne, le sens positif du mot violence n’existe pas. Voilà pourquoi les médias anglophones l’utilisent uniquement dans le sens d’une agression physique ou verbale. Les médias francophones se sont alignés sur les autres, s’attachant presque exclusivement au sens anglais du terme, à savoir la violence comme agression. Il est déplorable que ce mot ait perdu son sens positif original. […] Nombre d’auteurs français se sont servis du mot violence en son sens positif pour désigner un trait social. […] Maurice Bellet parle de « la bienheureuse violence » comme d’un élément essentiel et constructeur d’une personnalité forte. […] Pascal, homme de science et philosophe humaniste, parle dans ses Pensées de « la violence amoureuse et légitime » (Pensée n° 498) » — (Jean Monbourquette, La violence des hommes, Novalis-Bayard, Ottawa, 2006). Pour Jean-Michel Longneau, la violence est une donnée anthropologique, elle est intrinsèque à l’être humain. La nier revient dès lors à ignorer une part de soi-même, et dès lors à se condamner à ne jamais pouvoir l’apprivoiser. Prendre conscience de la violence qui nous habite, de même que de celle qui nous entoure, est nécessaire pour apprendre à lui faire face. Ainsi pour Daniel Sibony : La violence est une modalité de la vie, censurer ou dénoncer la violence ne fait que la redoubler. https://www.psychologies.com/Culture/Savoirs/Philosophie/Interviews/Daniel-Sibony-La-violence-est-une-valeur-de-vie

Violence, sa définition négative : un processus de meurtre, même si ce processus ne va pas jusqu’à son terme. Son but premier est la destruction. La volonté de faire disparaître l’autre, la volonté de l’écarter, de l’exclure, de le réduire au silence. Cette violence est un phénomène universel et omniprésent et qui peut prendre de multiples formes, à des degrés divers : elle peut être d’ordre moral, physique, verbal, psychologique, économique… « Il n’existe pas seulement la violence ouverte, déclarée et belliqueuse, celle de l’injure, des coups, et de l’acte guerrier, mais aussi la violence sournoise qui peut se cacher dans l’habitude, la politesse, l’ordre et l’anonymat. La violence peut prendre une apparence civilisée qui ne rappelle pas le comportement brutal du délinquant ou du terroriste. » J-F Bazier « la Non-violence : une proposition ».

Violence, ce qu’elle n’est pas : Il convient de distinguer la violence de l’agressivité, de la force et du conflit. Violence et agressivité sont à distinguer dans le sens où l’agressivité est une puissance de combativité, d’affirmation de soi. Elle peut être constructive. Etymologiquement, le terme « agressivité » vient du latin « aggredi », ce qui signifie « marcher vers ». Par son étymologie, le verbe « agresser » n’implique pas plus de violence que le verbe « progresser », qui signifie « marcher en avant ». « Aggredi » incarne davantage l’idée d’une énergie de combativité. Sans agressivité, l’Homme serait incapable de surmonter ses peurs et d’aller de l’avant. Si on s’en tient à l’étymologie des mots, la violence n’est en définitive qu’un dérapage d’agressivité. La violence n’est pas la force : la force n’existe que par l’action, et cette action peut être soit violente, soit non violente. Force et violence ne se situent pas dans le même registre. Enfin, il ne faut pas confondre violence et conflit : le conflit fait partie de la vie et de toute relation à l’autre. http://www.bepax.org/files/files/quest-ce-que-la-violence.pdf

La violence et les religions : Pour le philosophe Rémi Brague, auteur de « Sur la religion » (Flammarion), dire que les religions sont violentes représente une échappatoire commode qui évite de s’interroger de trop près sur une religion déterminée. « Nos sociétés ne prennent pas la religion au sérieux », il note les profondes différences entre les guerres de religion du XVIe siècle et le djihad. Pour le philosophe, l’idée d’un affrontement au nom du religieux est inaudible par les sociétés occidentales, ce qu’il déplore. https://www.revuedesdeuxmondes.fr/remi-brague-nos-societes-ne-prennent-religion-serieux/

La violence et les évangiles : La révélation du Christ est une apocalypse de la violence. Si les évangiles sont une révélation, cela veut dire au minimum qu’ils viennent d’« ailleurs ». Et s’il s’agit aujourd’hui de penser « la mort de Dieu », objet de l’Idole, en considérant cette mort comme, avant tout, la mort d’un concept, d’une certaine primauté de l’Etre et du « Dieu moral » ; ce Dieu qui est mort est une idole contre lequel il faut lutter, Jean-Luc Marion. Dans les évangiles, au-delà de la crucifixion et de ce qu’elle révèle, il y a des images de la violence comme : « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive ! » (Et non pas je ne suis pas venu apporter la paix, mais la guerre) « Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère; et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison. Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi, et celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi; celui qui ne prend pas sa croix, et ne me suit pas, n’est pas digne de moi. Celui qui conservera sa vie la perdra, et celui qui perdra sa vie à cause de moi la retrouvera. » Matthieu 10:35-40. Ou encore, « Le royaume des cieux est forcé, et ce sont les violents qui s’en emparent » Matthieu 11/12, ce qui signifie que le salut n’est pas pour les timides. Pour aller plus loin : Jean-Louis Souletie https://www.cairn.info/revue-imaginaire-et-inconscient-2001-4-page-103.htm

La violence et la modernité : Dans « La barbarie (1987) », Michel Henry, établit le lien entre barbarie et science : celle-ci se fonde en effet sur l’idée d’une vérité universelle et comme telle objective et qui conduit donc à l’élimination des qualités sensibles du monde, à l’élimination de la sensibilité et de la vie. La science n’est pas mauvaise en soi aussi longtemps qu’elle se borne à étudier la nature, mais elle tend à exclure toutes les formes traditionnelles de culture, à savoir l’art, l’éthique et la religion. La science livrée à elle-même conduit à la technique dont les processus aveugles se développent d’eux-mêmes de façon monstrueuse sans référence à la vie. La science est une forme de culture dans laquelle la vie se nie elle-même, elle est une négation pratique de la vie, qui se prolonge dans une négation théorique sous la forme de toutes les idéologies qui ramènent tout savoir possible à celui de la science, à savoir les sciences humaines dont l’objectivité même les prive de leur objet : que valent des statistiques face au suicide, que disent-elles de l’angoisse et du désespoir dont il procède ? Dans le monde moderne, nous sommes presque tous condamnés dès notre enfance à fuir notre angoisse et notre propre vie dans la médiocrité de l’univers médiatique, une fuite de soi et un mécontentement qui conduisent à la violence, au lieu de recourir aux formes traditionnelles les plus élaborées de la culture qui permettaient le dépassement de cette souffrance et sa transformation en joie. https://www.michelhenry.org/son-oeuvre/la-barbarie/ Voir aussi « Vie et violence. Esquisse pour une généalogie du monde » de Jérôme Thélot  https://books.openedition.org/pucl/2745?lang=fr

La violence, pourquoi : Selon René Girard, nous avons de bonnes raisons de nous interroger sur la violence, parce que nous savons qu’elle grandit dans notre univers. Il met l’accent sur le rôle de la « violence fondatrice » et sur celui de la « victime émissaire ». La violence est-elle innée ? « On perpétue, et c’est l’essentiel peut-être, l’idée de la bonne nature humaine qui est celle de Rousseau. Corrompue par la société peut-être, mais bonne dans son essence première, et qui pourrait rester bonne si on pouvait se débarrasser de la société, ou si on limitait son pouvoir. Moi, ma thèse, c’est un peu le contraire de cela. » https://www.franceculture.fr/conferences/ecole-normale-superieure/rene-girard-pourquoi-la-violence René Girard découvre ainsi la genèse du «religieux archaïque»; du sacrifice rituel comme répétition de l’événement originaire; du mythe comme récit de cet événement; des interdits fixés à l’accès des objets à l’origine des «rivalités» qui ont dégénéré dans cette crise. Cette élaboration religieuse se fait au long de la répétition de crises mimétiques, dont la résolution n’apporte la paix que de façon temporaire. Pour l’anthropologue, l’élaboration des rites et des interdits constituait une sorte de «savoir empirique» sur la violence. Ces deux thèses liées sur la «rivalité mimétique» et le «mécanisme émissaire» ont conduit René Girard –qui a toujours affiché sa foi chrétienne malgré les critiques d’une partie de la communauté scientifique– à s’interroger sur l’origine et le devenir des religions, jusqu’à leurs formes extrémistes d’aujourd’hui. René Girard va interpréter les attentats du 11 septembre 2001 comme la manifestation d’un «mimétisme» désormais globalisé. Il déclare, dans une interview au Monde en novembre 2001, que le terrorisme islamique s’explique par la volonté « de rallier et mobiliser tout un tiers-monde de frustrés et de victimes dans des rapports de rivalité mimétique avec l’Occident». Pour lui, les «ennemis» de l’Occident font des Etats-Unis «le modèle mimétique de leurs aspirations, au besoin en le tuant ».  https://www.slate.fr/story/109455/rene-girard-mort-violence-sacre Voir et entendre aussi « René Girard et Michel Henry  : le désir de l’Autre http://www.rene-girard.fr/57_p_44709/girard-henry-le-desir-de-l-autre.html Ou encore écouter « René Girard, Emmanuel Levinas : du sacré au saint » (le mal c’est l’être et de persévérer dans son être) par Jean-Luc Marion http://www.ekouter.net/rene-girard-emmanuel-levinas-du-sacre-au-saint-avec-jean-luc-marion-a-l-ecole-normale-superieure-2660

Violence, son extension : Diffuse, multiple, explosive, comment saisir la logique de la violence ? Demain, sort ce livre de François Cusset, « Le déchaînement du monde, logique nouvelle de la violence ». Cette question de la violence semble interpeller les philosophes en ce moment, puisque, j’en cite quelques-uns, il y a eu celui d’Elsa Dorlin, « Se défendre, une philosophie de la violence », Marc Crépon, « L’Épreuve de la haine ». Essai sur le refus de la violence, et assez proche sur le sujet, on peut signaler « Tu haïras ton prochain comme toi-même » d’Hélène L’Heuillet. Le nombre de ces parutions sur la violence indique son actualité ou plutôt son inactualité, car elle n’est pas nouvelle, Machiavel, Marx ou Arendt en ont parlé. Ce qui l’est, en revanche, c’est la manière, renouvelée, dont elle se manifeste, son extension à tous les domaines de la vie et partout dans le monde, et la manière renouvelée dont on doit aussi la considérer https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-de-la-philo/extension-du-domaine-de-la-violence   

Violence, les origines : par Jean-Pierre Dupuis & Frédéric Gros

https://www.youtube.com/watch?v=jnhErs1u2O4&t=24s   https://www.youtube.com/watch?v=8ARdOYjELxI&t=450s

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« De la fascination pour la violence, de la transgression de son interdit comme source de plaisir, »

« Au consentement meurtrier, à certaines formes de violences dont nous nous accommodons, »

« A la violence fondatrice de nouveaux droits ou à l’origine de nouveaux régimes politiques, »

 Violence, Marc Crépon.

http://www.actu-philosophia.com/Entretien-avec-Marc-Crepon-Autour-du-Consentement

« La violence n’en est-elle pas moins le signe d’une agonie ? »

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